
Plasticienne noctambule
Juliette
Maricourt
Juliette naît à Paris, au cœur des grèves de 1995. À l’image d’un voyage conté, on lui a souvent raconté comment il avait fallu traverser la ville à pied, sous la neige, pour venir la voir à la maternité.
Enfant, elle grandit à Lyon. Chaque année, le soir du 8 décembre, elle voit la ville se métamorphoser sous ses yeux. Elle place des lumignons aux fenêtres puis sort regarder sa maison transformée. Elle pense à un acte de magie. Elle dessine beaucoup, apprend le piano pendant longtemps, et jardine au printemps. Ses vacances, elle les passe dans la Drôme où elle rencontre l’immensité des ciels étoilés.
À la sortie du lycée, elle quitte la ville de Lyon pour intégrer l’École Supérieure d’Art et Design de Saint Etienne. Outre la richesse d’un enseignement mêlant art et design, elle apprend beaucoup de la ville qui sculpte ses valeurs d’engagement, de collectif et de solidarité.
Passionnée par la nuit et la matière lumière, elle découvre dans les rayons de la médiathèque le métier de conceptrice lumière. Elle part alors à Copenhague pour rencontrer les lumières du nord, et expérimente pendant quelques mois le travail de la lumière au sein des théâtres et de l’espace public.
C’est ainsi, par la voie de la nuit, que Juliette rencontre la rue.
À l’issue de son diplôme, elle intègre l’agence de conception lumière Concepto, en Île-de-France. Elle devient, pendant plus de 4 ans, chargée de projet – puis jeune cheffe de projet – en conception lumière pour l’espace public. Son approche sensible de la lumière s’en trouve alors complétée de solides compétences techniques. Au fil de ses projets, elle parcourt des territoires nocturnes multiples, aux échelles variées, en ville et en ruralité. Sur chacun d’eux·elles, elle se raconte une histoire.
Juliette souhaite aujourd’hui donner corps à ces histoires pour interroger la peur de l’obscurité à laquelle elle a été régulièrement confrontée, et nous partager la magie qu’offre la nuit. Dessiner la possibilité d’apprécier la poésie de ses différents visages-paysages, lui redonner un souffle de vie et oser rêver.
Rencontrer nos nuits – Vertiges (titre provisoire)
Rencontrer nos nuits – Vertiges (titre provisoire) est le Projet Personnel de Création porté par Juliette, entre septembre 2024 et mai 2025, dans le cadre de la formation supérieure.
L’interview ci-dessous a été réalisée et retranscrite en mai 2025 par Julie Bordenave.
Inspirée tant par l’écologie du vivant que par l’invention de rituels initiatiques sensoriels, Juliette Maricourt crée différents types de pratiques artistiques pour rencontrer la nuit. Ancrée en chacun.e de nous, la peur de l’obscurité trouve ses sources dans une inquiétude primitive alimentée par les politiques publiques à travers les époques, mais aussi dans des chimères individuelles. À la peur collective, sous-jacente et archaïque, du noir, s’ajoute en effet une peur intime, plus polymorphe, à apprivoiser. Son propos artistique est tout à la fois politique – se défaire de réflexes sécuritaires de contrôle et de surveillance, contourner le dogme capitaliste qui abolit le rythme circadien naturel pour doper la productivité – mais aussi sensible et sensoriel : en se départissant de son habit d’humain, l’arpenteur nocturne peut découvrir d’autres moyens d’entrer en connexion avec le vivant, se replacer au sein d’un tout en prêtant attention à ses sensations, révélées ou décuplées par l’obscurité. Juliette mise sur l’aspect sensible de l’art pour ouvrir un dialogue, désamorcer des réflexes ancrés, peut-être infléchir des pratiques sur le plus long terme. Ses créations à venir mettront en jeu les lueurs naturelles de la nuit, les matières et effets de contraste pour faire contrepoint avec l’obscurité ; retrouver un usage parcimonieux de la lumière artificielle, ménager une place à la pénombre. La boîte à outils de sa Compagnie Des Nuits D’ici prévoit différents protocoles, déclinables selon les lieux et temporalités investies – impliquant a minima une semaine de présence en amont. Destiné à éprouver collectivement la réalité de la nuit sur un territoire donné, Rencontrer nos nuits inclut plusieurs dispositifs de rencontre sur le terrain. Parmi eux, Vertiges [titre provisoire] (Création 2027) : une pratique de la marche dans l’obscurité, durant des parcours nocturnes d’une durée moyenne d’1h (environ 1,5 km). Entre balises et sculptures, des installations – parfois vivantes – jalonnent le trajet de repères intégrés au paysage, à la manière de “greffes” utilisant les matériaux locaux, révélant le déjà-là, faisant une place au surgissement du corps. Le parcours se précède d’une mise en condition destinée à faire groupe pour partir à la rencontre de cet espace temps potentiellement intimidant, et s’achève autour d’une tisane partagée. Les pôles d’observation ou bains de nuit, quant à eux, se présentent comme des dispositifs nocturnes au seuil du dedans et du dehors, pour mettre en partage ces observations in situ. Pensés à l’échelle du site investi – banc itinérant en centre village, chaise échelle accolée à une barre d’immeubles… -, ils créent des endroits de rencontre nocturne, faisant du lever de la nuit un événement propice à une qualité inédite d’échanges. Ces différents protocoles, appelés à se diversifier ou se réinventer selon les contextes d’accueil, peuvent se doubler d’ateliers : confection d’un objet transitionnel pour une marche en forêt avec des enfants, quête d’odeurs et de saveurs nocturnes…
Quelles dimensions vous intéressent particulièrement dans la création en espace public ?
Je travaille depuis 8 ans sur la nuit. Après avoir déployé un gros volet narratif dans l’espace public par la lumière, prenant en compte les usages réels de terrain, j’ai choisi de réinvestir l’aspect sensible de la création artistique pour ouvrir une forme de dialogue au croisement de la nuit et de ses pénombres, sur une temporalité plus longue.
De quelle manière votre approche dans ce domaine a-t-elle évolué au cours de la formation ?
Par la création chorégraphique et gestuelle, en utilisant mon corps et celui des autres, j’ai intégré la dimension humaine à ma pratique de l’espace public, qui se cantonnait jusqu’alors à une utilisation contextuelle des paysages et des matières.
Quelles prochaines étapes envisagez-vous pour la suite de votre travail de création ?
Finir l’écriture de mon dispositif de marche et développer d’autres outils. Au volet poétique, ajouter un volet technique et scientifique pour mettre en partage des notions factuelles sur ce qu’est la lumière, la manière dont fonctionne notre corps dans l’obscurité de la nuit…
Présentation vidéo du projet
Interview et captation vidéo réalisées lors des Esquisses, en mai 2025.
Ces Esquisses sont des présentations de maquettes des Projets Personnels de Création menés pendant la formation supérieure de la FAI-AR.
Photo projet : ©DR | Texte projet : ©Julie Bordenave | Vidéo esquisse : ©Smelly Dog Films