Trapéziste extrême, comédienne tordue, metteuse en scène

Eva
Ordoñez

Eva découvre le cirque dans les squats de Buenos Aires.

Pendant son passage à l’école de cirque Le lido à Toulouse, Eva développe l’art du trapèze-suspension en mettant ses propres limites en jeu.
La lenteur, l’endurance, la force, les torsions et contorsions, la hauteur et le danger sont ses axes de recherche principaux.

Très rapidement les univers dans lesquels elle développe sa technique de cirque deviennent quasi plus importants que la technique en elle-même.

D’abord elle intègre la compagnie My!Laika, Side-Kunst Cirque et parcourt l’Europe pendant plus de 10 ans avec le spectacle Pop-Corn Machine. Le spectacle est joué dans plusieurs scènes prestigieuses mais aussi, et surtout, dans des scènes alternatives comme un vrai choix contre une politique culturelle élitiste.

En 2012 elle co-fonde avec Florent Bergal, Yann Frisch et Jonathan Frau la compagnie Oktobre et travaillent ensemble pour développer un cirque-théâtre affirmé.

Avec les spectacles Oktobre et Midnight Sun, la compagnie défend des univers tragi-comiques, puissants et esthétiques, mélangeant cirque, théâtre et magie nouvelle avec une critique sans concession de la violence qui nous entoure.

Plus tard Eva rencontre le Cirque Pardi!, cirque moderne en chapiteau, et découvre un mode de vie nomade qui développe et met en avant une façon de travailler indépendante tirant vers l’autonomie.

Elle participe à cette grande aventure en tant que regard extérieur, direction d’acteur·rice·s et accompagnement dramaturgique pour le spectacle Rouge Nord, une création collective grand format en espace public. Mais également en tant que comédienne circassienne pour le spectacle en chapiteau Low-Cost Paradise. Une création collective sous le regard complice de Christophe Lafarge dit Garniouze.

Elle met en scène avec Philine Dahlmann le spectacle Event the darkness.

Elle intervient également régulièrement en tant que professeure de recherche artistique dans plusieurs écoles de cirque telles que la Flic à Turin ou L’Académie Fratellini à Paris.
Dernièrement, elle a créé avec 5 ami·e·s, Underdog (ou celui qui risque de perdre). Création in situ, éphémère et engagée, mélangeant non-cirque, non-théâtre et musique live. Un univers immersif et perturbant.

Passionnée de cinéma, Eva aime la magie et s’intéresse à la distorsion dans tous les sens du terme (altération. anormalité, décalage, déformation, déviation, disparité).
De celà, né une envie d’explorer la distorsion de la réalité et de l’imaginaire dans l’espace public : avec le corps, les effets visuels, la musique et la scénographie… Sans oublier, bien sûr, la révolution et la beauté des choses

Bleu électrique

Bleu électrique est le Projet Personnel de Création porté par Eva, entre septembre 2024 et mai 2025, dans le cadre de la formation supérieure.
L’interview ci-dessous a été réalisée et retranscrite en mai 2025 par Julie Bordenave.

De sa pratique initiale de trapéziste, Eva Ordonez garde un goût pour la suspension et le théâtre acrobatique, qu’elle confronte désormais à l’espace public. Saisie par certains quartiers marseillais, en travaux perpétuels, entre biffins et mobilier urbain en déshérence, elle y trouve résonance aux images qui l’habitent : une esthétique contemporaine en prise avec le monde actuel, ses marges et ses marginaux. Entre attente et désarroi, les créatures de Bleu électrique nous invitent à les suivre, déambuler sur leurs pas de parkings en friches, des lieux désertés mais porteurs de traces d’occupation. Animée d’une énergie à la fois âpre et galvanisante, crue et taquine, oscillant entre langueur et jubilation, piquante comme une sucette au piment, la proposition mêle théâtre physique, création sonore et textes, évoquant par allégories le témoignage d’un peuple invisibilisé ; de ces morts anonymes qui nous passent inaperçues, tout en impactant nos espaces communs de manière quasi subliminale – victimes de guerre, travailleurs du bâtiment qui s’épuisent à la tâche, migrants traversant la Méditerranée… 

Les tableaux donnent à voir des errances, des tâches répétitives, des rencontres, parfois des affrontements. De puissantes images métaphoriques se succèdent, le temps d’un bref déambulatoire débouchant sur un spectacle fixe à géométrie variable. Des dualités et rivalités éclatent, on escalade une paroi ou on se heurte à un mur ; une échappée au sommet d’un lampadaire permet de fuir l’asphyxie, plus loin on écope du sable sans fin… Puisant dans la physicalité singulière de chacun.e de ses 6 interprètes – danse, acrobatie, contorsion – Bleu électrique véhicule une beauté convulsée, tend vers l’oxymore corporel, lorgne vers des univers à la Virginie Despentes ou Nan Goldin.
La réalité tremble, frémit, frissonne, des jeux de regard s’échangent avec le public, un haïku punk, tantôt inquisiteur, tantôt blagueur, s’énonce d’un air narquois, politesse masquant une urgence vitale. Les destinées coexistent, se croisent, interagissent parfois, tramant un espace commun physique et mental, qui entre en résonance avec le vécu collectif de nos villes. Chaque tableau utilise la profondeur de champ, le mouvement est perpétuel, même circonscrit au sein d’un même site. Le spectacle, pour environ 400 personnes, se destine aux espaces périphériques, abandonnés mais porteurs d’une mémoire et d’une envergure permettant de varier les focales, les ressentis et les degrés de lecture. 

Quelles dimensions vous intéressent particulièrement dans la création en espace public ?
L’envie de mener des recherches sur ma pratique, un univers à poser dans l’espace public. M’émanciper du cirque, tout en en gardant une certaine physicalité et la possibilité offerte par les états de corps, pour y imaginer une déambulation intégrant du théâtre physique.

De quelle manière votre approche dans ce domaine a-t-elle évolué au cours de la formation ?
J’ai appris à m’assumer en tant que directrice artistique, porteuse de projet. Des expériences de mise en scène menées sur un bref laps de temps ont décuplé mon énergie vitale ! J’ai aussi pu tirer un fil que je suivais autour de l’attente, la marginalité, la rue ; établir des analogie entre suspension et soulèvement – soulever son poids, se soulever en tant que peuple… Ces axes d’étude m’ont menée à imaginer un agrès, un lampadaire qui se fond dans l’environnement. 

Quelles prochaines étapes envisagez-vous pour la suite de votre travail de création ?
Nous avons une année de création devant nous, nous bénéficions déjà d’accompagnements – Furies, l’Usine, La Grainerie, plateforme In Situ, projet EKO – mais il nous faut encore des soutiens et des résidences. Nous prévoyons des premières à la rentrée 2026. 

Présentation vidéo du projet

Interview et captation vidéo réalisées lors des Esquisses, en mai 2025.
Ces Esquisses sont des présentations de maquettes des Projets Personnels de Création menés pendant la formation supérieure de la FAI-AR.

Photo projet : ©FAI-AR | Texte projet : ©Julie Bordenave | Vidéo esquisse : ©Smelly Dog Films