
Architecte corpographe
Fatma
Balti
Je suis née en Tunisie, un crayon dans la main, un oud entre les bras, des pointes dans les pieds. Très tôt, j’ai eu la chance d’explorer les langages du geste et du son, les rythmes du mouvement et de l’espace. Mais mon obsession se portait plus sur les lignes — celles des corps, des bâtiments, des émotions. Alors j’ai choisi l’architecture, espérant y trouver des réponses.
À l’École Nationale d’Architecture et d’Urbanisme de Tunis, j’ai nourri un appétit grandissant pour les interstices urbains et les vestiges du bâti. Mon mémoire interrogeait l’obsolescence architecturale : comment ré-habiter les ossatures délaissées, porteuses d’histoires, pour renouer le lien entre les corps et les lieux, à travers une narration qui les habite.
Mais j’ai vite compris que les murs ne suffisent pas.
À 23 ans, j’ai repris la danse — un moment de grâce. Le mouvement est devenu langage, l’espace, contexte. J’ai intégré, un an plus tard en 2022, le Ballet de l’Opéra de Tunis. Depuis, je danse, je tourne, je crée, et surtout, je rencontre… Mathilde Monnier, Emilio Calcagno, Abou Lagraa, Rachid Ouramdane, Emio Greco et d’autres — des artistes qui ont bouleversé mon rapport au corps et à la scène.
En dehors du BOT, j’ai intégré des créations scéniques indépendantes en tant qu’artiste-interprète, notamment avec la compagnie lyonnaise Volcà et d’autres pièces hybrides. Mais c’est dans un atelier de théâtre physique animé par Aymen Mejri — où l’inconscient collectif et le butoh m’ont plongée dans les zones floues de l’émotion — que j’ai vécu mon grand “eurêka”.
Parallèlement, ma quête spatiale m’a menée à la YACademy de Bologne, dans la formation Architecture for Exhibition, pour apprendre à exposer l’oeuvre — qui, dans mon cas, était le corps. Sous le tutorat de BIG Architects, j’ai développé le concept MO-Box (Machinery Originated Box), un dispositif itinérant conçu pour la Fondation Prada. J’y ai aussi réalisé ma première installation cinétique, The Sway, pour le musée forêt Arte Sella — une oeuvre qui marque une première tentative d’un dialogue intime entre architecture, danse, espace et mouvement, hors des murs et de la scène.
S’ensuivent les premières esquisses de scénographies et d’installations pour la performance, notamment avec le chorégraphe Ilyes Triki sur In 2 Sides et Between the Lines. Ensemble, nous explorons la porosité du quatrième mur, cherchant à le traverser des deux côtés. Avec lui, je co-dirige actuellement le projet STOP — une création-performance-jam immersive fondée sur l’improvisation, le partage et la rupture des codes scéniques.
Aujourd’hui, je ne cherche plus à choisir entre architecture et danse. Je cherche l’outil — ou les outils — qui résonnent avec mon âme. J’explore les points de friction entre espace, mouvement et émotion. Mon travail est une tentative de rendre visible l’invisible, de faire dialoguer le corps et le lieu, de créer des instants où l’art ne mène à rien — sinon à traverser un moment. Un moment d’émotion brute, inattendue, que l’on ne penserait pas à vivre autrement.