Recycleuse de la vi(ll)e
Lily Carmen
Smith
Lily Carmen Smith est une artiste interdisciplinaire dont les créations se matérialisent par l’écriture, l’installation et la performance.
Née à Glasgow en 1997, elle s’y est mise très tôt à faire des bêtises dans la rue avec la compagnie de famille Mischief-La-Bas. Elle est constamment inspirée, séduite et formée par la vi(ll)e et celleux qui l’habitent. Elle conçoit donc sa pratique artistique comme un échange réciproque avec la sphère publique, son corps y devenant un réceptacle ouvert aux innombrables dépôts de la vi(ll)e ; du collectif, de l’individuel ou du paysage.
Son processus créatif est un recyclage : en mélangeant des récits de la vi(ll)e, en explorant curieusement leurs croisements et leurs contradictions, et en tirant les éléments qui lui semblent mériter un moment d’attention, elle répond sous la forme d’une installation multimédia ou d’une performance dans la rue, dans un parc, dans un centre commercial ou sur le balcon de son appartement. Elle souhaite que ses projets soient des offrandes aux lieux dans lesquels ils s’inscrivent.
Lily est diplômée de théâtre et de français de l’université de Glasgow, et bien qu’elle reste toujours fidèle au ludique et au populaire, ses expériences dans un cadre institutionnel et académique ont influencé les formats récents de son travail.
Elle s’inspire des dispositifs des mondes des galeries aux murs blancs, des amphithéâtres et des musées et, avec l’aide du public, se les réapproprie dans l’espace public. Elle s’en sert pour exposer temporairement des éléments qui, en raison de leur nature en constante évolution, échapperont toujours à l’institutionnalisme des “murs” : par exemple une rivière (The Calm After the Storm, Prague, 2019), le manque (Huelva is the Shape of a Teardrop, Huelva, 2021), le folklore oral (The Museum of Missing Myths, Inverclyde, 2021), les chagrins d’amour (It Felt Like That, Dundee, 2022) et ses propres souvenirs (The Body Zone, Glasgow, 2023).
Après avoir été exposés pendant un certain temps, ces “musées” sont démantelés et ses contenus sont relibérés dans la vi(ll)e pour poursuivre leurs évolutions.
A 19 ans, Lily est tombée profondément amoureuse de Marseille qui pour elle constitue la vi(ll)e de toutes les vi(ll)es. Elle est aujourd’hui à la FAI-AR pour reprendre cette histoire d’amour qu’elle considère comme faisant partie intégrante de son parcours artistique.
The Sous Way
The Sous Way est le Projet Personnel de Création porté par Lily, entre septembre 2024 et mai 2025, dans le cadre de la formation supérieure.
L’interview ci-dessous a été réalisée et retranscrite en mai 2025 par Julie Bordenave.
Envoûtée par Marseille dès sa découverte de la ville en 2016, Lily Carmen Smith y voit de frappantes similitudes avec Glasgow, sa ville de naissance : images en décalage avec les cartes postales de la Côte d’Azur ou de l’Ecosse, problématiques sociales et politiques, passé industriel en mutation, gentrification à l’oeuvre mais aussi résistance populaire, énergie hyperbolique de ses habitants, ferveur footballistique, et surtout l’attachement à une identité culturelle qui surpasse celle du pays concerné. De ces affinités mises à jour – couronnées par un méconnu jumelage datant de 2006 ! – elle fait le terreau de sa recherche. Détournant les codes de l’urbanisme, The Sous Way sonde les émotions citadines via des “stations pour stationner”, donnant à éprouver la manière dont le corps peut être affecté par les espaces qui l’entourent. En filigrane, un métro alternatif sert de fil rouge pour esquisser une cartographie de sites repérés dans la ville : faisant office de balises, ces fictives stations font surgir d’éphémères actions performatives émergeant à la surface de ce réseau souterrain – underground par essence. Pour révéler ces récits méconnus, oubliés, parfois négligés, un temps d’enquête préalable sur le terrain sert à glaner des émotions auprès d’habitants et travailleurs, notamment affectés par la mutation des lieux et de leurs usages : aménagement urbain, réhabilitation d’industries…
S’adressant plutôt aux publics non convoqués, ces petites formes pluridisciplinaires sont couronnées par un temps fort : une cérémonie d’inauguration de ce réseau souterrain. Guidés par des performers itinérants – The Sous Way brigade comme autant d’agents de transport -, le public lui-même “fait métro” en se déplaçant de station en station. Le trajet culmine en concert. The Sous Way érige le DIY et le recyclage – de codes culturels, élitistes ou mainstream- comme une philosophie, qui s’applique aussi à son univers visuel : costumes bricolés, scénographie à base de déchets et de résidus, fanzine comme outil de communication… Cet esthétisme de la récupération se croise d’emprunts au glamour et au drag.. Une ode à une ultra féminité décomplexée en lice dans les deux villes, célébrant la reprise de pouvoir sur son corps au sein d’un espace commun. Par son personnage de Playmoville, à la lisière de l’urbaniste et de la pop star, Lily Carmen Smith transmet aussi sa propre expérience sensorielle autour des lieux traversés. Une série de brèves actions participatives propose au public de fouiller dans sa propre mémoire, en quête d’émotions qui le lient aux espaces pour constituer le “dépôt” du métro : un espace de stockage des émotions urbaines.
Le processus de création de The Sous Way se conçoit lui-même comme une performance au long cours. A terme, l’artiste vise un jumelage souterrain entre les quartiers Nord de Marseille et Est de Glasgow, visant à faciliter une conversation d’une ville à l’autre et mettre en lien des artistes locaux. Un album concept retraçant l’expérience pourra être édité, à écouter en itinérance à travers les villes.
Quelles dimensions vous intéressent particulièrement dans la création en espace public ?
Au-delà du lieu de représentation, le sujet de mon travail a souvent été l’espace public en soi. Je me vois comme une artiste sans discipline principale, ce que je trouve fidèle à la nature de l’espace public : indisciplinée, réactionnaire, souvent contradictoire. J’ai toujours eu la sensation que ce sont les expériences relationnelles qui m’ont modelée, moi et ma pratique. C’est comme ça que j’ai commencé à jouer, en interaction instantanée avec les rues de Glasgow et ses habitants.
De quelle manière votre approche dans ce domaine a-t-elle évolué au cours de la formation ?
J’ai plutôt agi en sauvage par le passé, par exemple dans le métro à Glasgow. A la FAI-AR, j’ai constaté qu’il fallait tout le temps demander des autorisations ! C’était un peu démoralisant de découvrir à quel point les espaces communs sont contrôlés, surveillés et réglementés à Marseille, mais ça a aussi décuplé ma détermination à continuer d’y injecter des actes performatifs, se jouer des limites, saisir les codes pour tenter de les transgresser… Toutes ces notions ont infusé mon projet.
Quelles prochaines étapes envisagez-vous pour la suite de votre travail de création ?
Bien m’ancrer à la fois à Marseille et à Glasgow est indispensable pour ce projet, trouver des artistes locaux avec qui travailler…. J’ai aussi envie de collaborer avec – ou de créer – un groupe de musique pop et électro pour la suite du projet, capable de détourner les codes de pop stars d’aujourd’hui telles que Charli XCX en y insufflant des notions de villes et de communauté ! Comment l’artiste pourrait-elle être service public ?
Présentation vidéo du projet
Interview et captation vidéo réalisées lors des Esquisses, en mai 2025.
Ces Esquisses sont des présentations de maquettes des Projets Personnels de Création menés pendant la formation supérieure de la FAI-AR.
Photo projet : ©Lily Carmen Smith | Texte projet : ©Julie Bordenave | Vidéo esquisse : ©Smelly Dog Films