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Performeuse liquide
Emmy
Ols
Emmy est serveuse, guide de château, auto-entrepreneuse, caissière, performeuse, spectatrice, commis de cuisine, militante, animatrice, exploratrice, affabulatrice, dyslexique, amoureuse, phasme et… sera sûrement devenue autre chose le jour où vous lirez ces lignes. Par nécessité économique, mais aussi et surtout animée par une pensée de l’impermanence et du mouvement, elle rit à l’idée que ce qu’elle réussit le mieux c’est la maîtrise de la non-maîtrise ou l’art de la bidouille.
Née dans le cantal en 1995, elle a longtemps été bercé par l’eau de la Doire qui coulait langoureusement à côté de son lit. Le cycle perpétuel de l’eau, son changement d’état et son mouvement permanent va profondément marquer Emmy. Depuis toujours, elle tente d’écouter le fil de sa pensée qui va d’une chose à l’autre, par des associations d’images absurdes et burlesques en prise avec le réel qui l’entoure.
Dès son parcours en école d’art, elle porte une attention toute particulière à la manière dont le quotidien s’organise par une mise en scène spontanée, et à la poésie triviale des choses communes. Emmy habite son environnement de vie comme on occuperait un terrain de jeu… Que ce soit en passant par le médium de la vidéo, de la création sonore et numérique, de l’installation et de la performance, à l’autoédition : elle crée l’événement par le biais de personnages friponnes (qu’elle aime appeler des “tricksters”). Ces personnages viennent parasiter l’espace d’une situation à la fois EXTRA-ordinaire et banale, pour un public averti ou pas, dans des sphères publiques ou privées.
Ce qui l’amuse le plus c’est de raconter des histoires, écrites seule ou à plusieurs, avec des collaborateur·rices ou spectateur·rices. Qu’elle soit dans un PMU, à l’intérieur d’un site web, sur une place de parking, dans une caravane, autour d’une oasis, à la caisse d’un supermarché, dans une salle de casting, en visite guidée de château… Elle cherche à tisser des liens sinueux entre réalité et fictions loufoques.
En relation avec ces questionnements, une recherche de commun et de la nécessité de se rassembler anime son quotidien. Quand Emmy ne joue pas des tours, elle investit son temps à « somme toute », association Clermontoise dédiée au soutien et à la diffusion de la jeune création qu’elle co-crée en 2018 avec 13 ami·x.e·s Au sein de ce laboratoire d’expériences collectives, elle co-initie le cycle d’invitation « Majeur Mouillé » un festival qui tente, par une série d’évènements, de valoriser des recherches plastiques et théoriques qui étudient les pratiques post-porn, queer et militantes.
À partir de 2019, elle s’est également formée aux techniques du théâtre de l’Opprimé avec la Cie Matière Vivante et Naje compagnie. Depuis, Emmy co-anime des temps de transmission de ces outils en collaboration avec l’association d’éducation populaire La Gousse en mixité choisie MINT.
Elle fait actuellement partie des 14 artistes internationaux qui suivent une formation professionnelle de deux ans en art en espace public : la FAI-AR où elle examine à la loupe l’impact croissant du corps virtuel et ses infrastructures sur nos vies quotidiennes.
La Worde, la Wild et le Web
La Worde, la Wild et la Web est le Projet Personnel de Création porté par Emmy, entre septembre 2024 et mai 2025, dans le cadre de la formation supérieure.
L’interview ci-dessous a été réalisée et retranscrite en mai 2025 par Julie Bordenave.
Déployant sa fiction entre espace virtuel et réel, La Worde, la Wild et le Web emprunte aux codes du western contemporain : à cheval sur une double spatio-temporalité, ces trois entités vont faire pénétrer le·la spectateur·rice, presque à son insu, dans les arcanes d’Internet, pour y éprouver et décrypter les rapports de force, mirages et dangers à l’oeuvre. Pensant se rendre à une conférence lambda, le.la spectateur·rice assiste d’abord à un exposé dans une salle polyvalente. La Worde, intervenante experte, y délivre des données chiffrées à donner le tournis – fonctionnement, quantité de données générées quotidiennement, vacuité du contenu… Mais bientôt, la machine se grippe : la Wild, incarnation de ce que représente l’IA – dans ses pires travers mais aussi ses réels progrès – prend littéralement corps devant nous, nous entraînant à la découverte de la matrice. Le bug crée une collision entre virtualité et réalité. Propulsés dans l’espace public, les spectateur·rice·s y déambulent à leur insu dans le Web, sur les pas de zélé.es modérateur.rice·s de contenus un brin dépassé.es par l’ampleur de leur tâche – analyse et protection de données, offrandes à déposer au pied du data center, une idole ronflante et vorace, en perpétuelle activité derrière son apparente somnolence… “Work hard, have fun, make history” : au rythme de leur devise serinée tel un mantra, elleux appliquent en gestes burlesques les consignes laconiques des content policies. Tour à tour traqué, pris à parti ou sollicité par une communauté de mystérieux hackers, le public éprouve les grisantes sensations successives qui peuvent saisir l’internaute derrière son écran.
Emmy Ols rend les frontières poreuses pour mieux mettre en évidence les concordances dans la manière de gérer ces deux espaces communs, réputés publics mais devenus standardisés à bien des égards. Le résultat de ses recherches, menées notamment auprès de La Quadrature du Net, irrigue l’ensemble de sa dramaturgie – contre-pouvoir, dérives complotistes, incapacité à juguler le contenu viral qui se propage, complexité des identités numériques, traçabilité des données… – tout en évitant le côté docte. Sa création est parsemée de fantaisie, dans un univers appelant la SF des années 80 – on tombe d’un écran, on traverse les frontières… À son insu, le.la spectateur·rice expérimente aussi la sousveillance théorisée par Jean-Paul Fourmentraux, cette capacité des usager·e·s à utiliser à leur compte les dispositifs de surveillance mis en place par les puissants, pour le meilleur et le pire. Sans prétendre apporter de réponses, il s’agit de mettre en dialogue ces multiples enjeux, tout en soulevant des questions sur nos usages.
Quelles dimensions vous intéressent particulièrement dans la création en espace public ?
L’occupation artistique d’un ancien PMU pendant un mois à Clermont-Ferrand m’a permis d’éprouver une présence au long cours dans un quartier. Partir d’un dispositif en espace public en suivant une écriture contextuelle permet d’augmenter une histoire, de la transformer, d’y impliquer des gens, de s’amuser de différents médiums : vidéo, édition, texte, performance, costume…
De quelle manière votre approche dans ce domaine a-t-elle évolué au cours de la formation ?
J’ai pu questionner la dramaturgie, le jeu, la direction. Je suis venue y chercher aussi une manière de travailler collective, pour sortir de l’isolement des arts visuels ! Via la direction d’interprètes, j’ai pu expérimenter du théâtre de l’ordre de l’invisible, notamment en jouant avec une caméra de vidéo surveillance : “attirer son attention” pour chercher quelles sont les anomalies qui la déclenchent – s’arrêter, s’allonger, avoir des comportements erratiques… Un détournement poétique assimilé à un protocole de séduction, visant à se réapproprier cet outil et s’en amuser.
Quelles prochaines étapes envisagez-vous pour la suite de votre travail de création ?
Une recherche de résidences pour continuer de développer ce spectacle-machination, notamment concernant le jeu, la scénographie, les chantiers numériques permettant d’articuler les passages entre vidéo et réalité ; et une aide à la dramaturgie, avec une personne qui soit familière du sujet traité. J’aimerais aussi développer des ateliers d’action culturelle avec des jeunes ados (création d’avatars, séduction de VSA…). Peut-être des projets d’édition, de podcast, et la possibilité d’imaginer des balades propres à chaque territoire, autour de symboles à creuser localement. Ainsi à Marseille, une nouvelle Route de la soie se met en place : de nombreux câbles de fibre optique partent de ce 5e hub mondial, et le patrimoine industriel, type ancien silo à sucre, y est réhabilité en data centers !
Présentation vidéo du projet
Interview et captation vidéo réalisées lors des Esquisses, en mai 2025.
Ces Esquisses sont des présentations de maquettes des Projets Personnels de Création menés pendant la formation supérieure de la FAI-AR.
Photo projet : ©DR | Texte projet : ©Julie Bordenave | Vidéo esquisse : ©Smelly Dog Films