
chair-cheuse
poEmma
Née le six octobre de l’année 1989, à 4h38 du matin, en banlieue parisienne, enfant elle veut être livreuse.
À ce moment-là, ça signifie pour elle : fabriquer des livres. À douze ans, elle rencontre le théâtre. Une fois son bac en poche, elle fait des études littéraires. Mais visiblement ses poches étaient trouées, zut. Elle préfère traîner ses basques dans les scènes slam.
Elle passe par le CRR de Cergy, avant de s’engager pour une formation d’un an en Biélorussie. À son retour, elle passe plusieurs mois sur la route avec une chère comparse, à fabriquer, à jouer. Certaines choses marchent d’autres pas. Le besoin de passer du temps à expérimenter se fait sentir. Ça l’amène en Belgique. Le conservatoire supérieur de Mons lui ouvre les bras en 2014.
Dès sa sortie en 2018 – et depuis longtemps déjà – elle sait qu’elle est étrangère aux murs du Théâtre. Avec cinq complices elle fonde la compagnie de théâtre de rue / cirque de la langue LEGOBOUM. Leur première création Combadego sillonne le sol belge.
Elle -poEmma- rencontre aussi Gaëtan Arhuero et la Cie VTT, avec qui elle mélange les langages de la théâtralité et de la composition électroacoustique dans une fiction-concert L’espace d’un instant.
Au mois de septembre 2023, elle prend la route de Marseille pour aller passer deux ans en formation à la FAI-AR. Elle va continuer à ronger son os et creuser ses questions de rapports de domination et de poésie orale dans l’espace public.
Suite au prochain épisode.
Animosité
Animosité est le Projet Personnel de Création porté par poEmma, entre septembre 2024 et mai 2025, dans le cadre de la formation supérieure.
L’interview ci-dessous a été réalisée et retranscrite en mai 2025 par Julie Bordenave.
Après Combadego, création pour l’espace public interrogeant la psyché d’un chien domestique, PoEmma s’intéresse au cheval, avec lequel elle noue une complicité depuis l’enfance. Animosité traite de la question de la domestication, sous le prisme de l’éthique de la relation entre humain et équidés – réputée collaborative mais dont les fondements reposent sur la domination. La fiction met en scène un frère et une soeur sur le bord d’une route. Dans ce no man’s land poussiéreux, lâchés par leur voiture qui tombe en panne, deux points de vue s’affrontent et les rôles se répartissent quasi intuitivement : l’une campe l’humaine pour tenter de s’atteler à la réparation du moteur ; l’autre endosse la posture de l’animal, qui s’engage à tracter la voiture si la panne perdure. Bientôt, une tierce personne, le maquignon, vient poser en termes marchands la question de la valeur d’une vie.
Pour traiter de la domestication et de l’animalité, PoEmma s’attelle au statut des équidés. Considérés comme des “animaux prolétaires” au même titre que les boeufs par certains historiens, cette espèce assignée au labeur a participé à l’essor et à l’enrichissement de l’Occident depuis le XIXe siècle. Animosité, comme celle qui pointe insidieusement quand on voudrait la masquer : dans ce théâtre revendiqué d’espèce publique, le groupe de spectateurs et spectatrices est assimilé à un troupeau, guidé par le maquignon qui l’oriente, le fait bouger, le bouscule parfois. Entre dressage et apprivoisement, il l’incite aussi à moduler ses points de vue selon l’angle adopté : suffit-il de déchoir un humain au rang d’animal pour s’autoriser à l’exploiter ? Quand l’humain emprunte la posture de l’animal, où se situe la frontière entre les espèces ?
Il ne s’agit de théâtre ni historique, ni documentaire ; mais d’une fiction tragicomique, qui inscrit en creux des questions – morales, sociétales, philosophiques – à travers les relations qui se nouent dans cette singulière et insolite trame narrative. Incisifs et narquois, les dialogues donnent à sentir l’incomplétude du genre humain, venant questionner cette péremptoire exceptionnalité auto proclamée. La scénographie joue avec les plans et les échelles, convoque les artifices artisanaux et accessoires signifiants : la chambrière qui amplifie les gestes du maquignon ; un 4×4 téléguidé qui occupe l’espace et vient chahuter le spectateur… Autant de symboles venant nous parler de l’ascension de l’humain – vitesse, puissance de traction, transports… – aux dépens des autres, fussent-ils êtres vivants ou énergies fossiles.
Quelles dimensions vous intéressent particulièrement dans la création en espace public ?
J’ai toujours fabriqué des objets destinés à être joués dans l’espace public. Après un premier spectacle créé en Belgique, j’ai eu envie de prendre conscience du paysage en France, venir sentir ce panel autour de ce qu’on appelle les projets de territoire, la médiation culturelle, voir comment s’agencent les différentes structures.
De quelle manière votre approche dans ce domaine a-t-elle évolué au cours de la formation ?
J’ai appris à me situer dans les différentes pratiques : je m’inscris dans le prolongement d’une certaine tradition des arts de la rue, et je l’articule avec une écriture et des codes contemporains. Je ne suis pas venue avec un projet déjà tissé, mais avec un os que je ronge autour des questions de domestication au sens assez large – animale, mais plus généralement du vivant… J’ai mis du temps à resserrer mon propos autour d’une espèce, les équidés, sur le dos desquels lequel s’est bâti le mirage de la toute puissance de l’Empire Blanc !
Quelles prochaines étapes envisagez-vous pour la suite de votre travail de création ?
Après des résidences d’écriture, nous allons chercher la juste distance pour endosser la posture de l’animal, sans tomber dans les travers de l’incarnation caricaturale. Il nous faudra surtout jouer devant du public ! Pour trouver ce qui fonctionne, éprouver les dispositifs, différentes techniques artisanales d’artifices…
Présentation vidéo du projet
Interview et captation vidéo réalisées lors des Esquisses, en mai 2025.
Ces Esquisses sont des présentations de maquettes des Projets Personnels de Création menés pendant la formation supérieure de la FAI-AR.
Photo projet : ©DR | Texte projet : ©Julie Bordenave | Vidéo esquisse : ©Smelly Dog Films